Rhinocéros

 

Résister

Il y a Kafka, Beckett et il y a Ionesco. Tous sortant plus ou moins du même tonneau. Qui te font te demander, en tout cas, si tu n’aurais pas besoin d’un petit verre, là.
Décalés, perchés, barrés, loufoques… et impossible à résumer. Tu imagines parler d’En attendant Godot à quelqu’un ? « C’est l’histoire d’un mec qui en attend un autre qui ne vient pas ». Pas folichon dit comme ça. Et réducteur. Pareil pour Rhinocéros. C’est l’histoire de Bérenger qui croise un rhinocéros. Ou peut-être deux. À une ou deux cornes, c’est selon…
Le théâtre de l’absurde. Ça commence comme une farce complètement dingue et ça termine en tragédie. En tout cas ça mène à une réflexion qui ne fait pas rire du tout.

Cette histoire de rhinocéros c’est le conformisme. L’adhésion - par conviction, curiosité, paresse, soumission ou peur d’être différent - à un truc bien nauséabond. La bestialité, la colère, la violence, la « rhinocérité ».

Et il y a Bérenger. Alcoolique. Pas forcément le pingouin qui glisse le plus loin sur la banquise - n’est pas logicien qui veut - mais qui résiste. Qui s’accroche à son humanité. Même seul contre tous.
Combien ont le courage de leurs convictions face à la masse ?

Le théâtre de l’absurde on aime ou on déteste. On reste hermétique parce que trop perché ou on fonce les deux pieds dedans.
C’est brillant. Parce qu’on peut mettre ce qu’on veut derrière les rhinocéros. Bien sûr Ionesco évoquait le nazisme et la France de Vichy. Mais ça marche toujours aujourd’hui. Avec des idéologies pas tellement différentes. Ce qui prouve qu’on a terriblement besoin de ce genre de textes.

On ne peut pas raisonner en « j’ai aimé/ je n’ai pas aimé » mais si on en ressort en se disant « ça m’a fait réfléchir loin loin bien plus loin que les mots » alors c’est qu’on est face au génie. Et Ionesco était un grand dramaturge.

À lire !

 

"Ce sont eux qui sont beaux. J'ai eu tort ! Oh ! comme je voudrais être comme eux. Je n'ai pas de corne, hélas ! Que c'est laid, un front plat. Il m'en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ça viendra peut-être, et je n'aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains sont moites. Deviendrontelles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace.) J'ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d'un vert sombre, une nudité décente, sans poils, comme la leur !"

 

Rhinocéros, Eugène Ionesco
Éditions Folio
246 pages
8,90 €
ISBN 978-2070368167

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